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Vocabulaire du Patois picard parlé à Warloy Baillon

(Somme)

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Le patois picard est un des idiomes les plus importants du Nord de la France. En effet, il est parlé dans tous les pays désignés autrefois des noms de Ponthieu, d'Amiénois, de Santerre, de Vimeu, de Vermandois, Laonnois, de pays de Soissons, etc. Son domaine est donc assez vaste puisqu'il comprend ainsi la Somme (en entier), le Pas-de-Calais (en partie), l'Aisne et l'Oise dans une plus faible proportion. Plusieurs des formes de cet idiome dépassent même Fontainebleau pour arriver aux portes de Paris.

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J'ai été aidé dans mon travail par M.M. Antonin Morel, Bouthors, Delannoy, Bernaux qui m'ont communiqué nombre de formes et de mots picards, et à qui je suis heureux de témoigner ici tous mes remerciements. C.E.

Les villages parlant à peu près le patois de Warloy-Baillon sont : Vadencourt (Vazũcur), Harponville, Varennes-en-Croix, Senlis (Sãli), Hédauville (Hédėvil), Milencourt (Milũcur), Hénencourt (Hinũcur), Bresles, et Baizieux (Bwéziü). C. E.

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Toutefois, si ce patois est fort répandu ce n'est que dans son ensemble, dans sa manière d'être générale. Une étude un peu attentive y fait découvrir des difficultés très marquées. Ainsi si partout on remarque la permutation du C doux en ch (chés - ces), du ch en C dur ou en ǩ (voir ci-après pour la prononciation de cette lettre), ex : ǩien pour chien, on trouvera des formes bien diverses selon les pays étudiés. Ainsi on verra le mot tablier se dire chinwer à W.-B. et tèrchė ailleurs ; maréchal se dira : mariso à W.-B., maricho dans le canton de Rosières, marichal un peu plus loin. Il est fort rare de trouver une agglomération de plus de huit à dix villages parlant le même patois. Beaucoup de mots sont inconnus d'une commune à l'autre. La prononciation change bien plus encore. À Amiens, par exemple, la prononciation varie d'un faubourg à l'autre ; à Warloy-Baillon il y a une différence sensible avec Toutencourt, commune située à une lieue de là. Partout où ou (u) entre dans un mot de W.-B., il est remplacé à T. par ü̃, exemples : Tü̃tũcür, vü̃ pour Tutũcur, vu (vous). À Contay (près W.-B.) le son ĩ (in) devient ã (an) ; ex : (pain), cabã (cabĩ, petite chambre), etc.


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Le picard a continuellement recours à une foule de comparaisons qui ne sont pas le moindre charme de ce patois. Ainsi, pour exprimer une agilité très marquée, le picard dira : agil cum ũ sinj (agile comme un singe). Pour exprimer d'autres idées, il dira : for cum ũ liõ (fort comme un lion), ruch cum ũ cu (rouge comme un coq), amer cum d'ol siü (amer comme de la suie), vif cum ũ ǩũ d'plõ (vif comme un chien de plomb), grã cum ũ ǩèn' (grand comme un chêne), etc. etc.

De même que le français populaire, le patois picard a une foule de formes pour exprimer l'idée de battre — peut-être plus de cinquante !… [Comme la majeure partie des patois, le picard manque complètement de mots pour exprimer les idées supérieures, métaphysiques. Fécondité, fantaisie, perfection, tendresse, idéal n'ont point d'équivalents ; on est obligé d'emprunter ces mots à la langue française ou bien d'employer de longues périphrases].

On pourra remarquer que l'a dans une syllabe close française est devenu o en picard : rat - ro, pas - po, bas - bo, chat - co, tas - to, mal - mo, etc. De même eau français se dit (ieu) en picard.


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château - câtiė, beau - biė, eau - , gâteau - gâtiė, etc. etc. ; oire français est uėr ou wèr' (ouèr) en picard : boire - bwer', croire - crwer' etc.

Devant les différences très marquées qui existent — ainsi que je l'ai montré tout-à-l'heure — entre le patois de pays même voisins, je me suis décidé à ne publier qu'un vocabulaire tout particulier : celui de Warloy-Baillon (Somme).

Restait à fixer la prononciation. Pour la représenter aussi exactement que possible j'ai eu recours à des caractères tout particuliers que l'on trouvera ci-après et qu'une Revue autre que la "Romania" aurait eu peine à réunir.

J'ai divisé ce travail sur le patois picard en plusieurs parties :

I.  Vocabulaire du patois de Warloy-Baillon ;

II.  De quelques parties du discours ;

III.  De la conjugaison de quelques verbes ;

IV.  Deux Contes populaires en patois picard, contes dans lesquels j'ai suivi le conteur pas à pas.

Cependant je ferai observer que dans la IVème partie de cette étude, je n'ai plus employé d'autres signes phonétiques


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spéciaux que ǩ (k mouillé), ğ (g mouillé). La lecture de ces spécimens de littérature populaire picarde serait, sans cette précaution, rendue trop pénible, trop difficile. (1)

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(1) Consulter :

Grégoire d'Essigny ; Origine des patois picards ; Péronne ; 1811

F. Génin ; Variations du langage français depuis le XIIe siècle ; Paris ; 1845 ; in-8°.

Paris. Une grammaire du patois picard publiée il y a quelques années à Amiens.

J.-B. Jouancoux. — Études pour servir à un glossaire étymologique du patois picard. Amiens. — Journal d'Amiens. Ann. 1877 et suiv.
N.B. Ces études ne sont encore arrivées(*) qu'à la lettre E. Monsieur Jouancaux a, selon moi, le tort de vouloir appuyer ses étymologies d'une foule de documents justificatifs qui retardent beaucoup ses recherches.

Pierquin de Gembloux ; — Histoire littéraire et philologique, bibliographie des patois ; Paris, 1841. — in-8°.

Almanachs d'Amiens et d'Abbeville . — Toute la collection.

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(*) Octobre 1879.


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Voici les quelques abréviations que j'ai employées ici :

m.masculin
f. féminin
plur. pluriel
sing. singulier
prov. proverbe ou proverbialement
W-B= Warloy-Baillon
C_y = Contay
T. = Toutencourt
V. = Vironchaux

Quant à l'alphabet spécial nécessité par la phonétique, le voici :

Voyelles

ase prononce comme en français dans patte, jatte, latte, rade.
âreprésente l'â long du français dans gâteau ; emplâtre ; grisâtre ; etc.
åreprésente l'a anglais dans les mots all, tall, etc. ex. : cål, pål, etc.
ã= an français dans tan, plan, etc.
ése prononce comme dans le français lié, pitié, cédé, blé, café, etc.
ę= le son de et français dans et (conjonction).
ė= le son de eu français dans peu, etc.
= in français dans lin, pin, etc.

[007]
ia la même valeur qu'en français.
ī= î français légèrement nasal.
ĩ= in français dans lin, pin, singe, etc.
í= un son intermédiaire entre é et i du français.
ose prononce comme en français dans les mots croquer, police.
òest la brève du son français ô dans pôle, rôle, etc. avec la même nature de son.
õ= on français.
u= ou français.
ü= u français. généralement long et nasal.
ũ= un son intermédiaire entre in et un français.

Semi-voyelles

Devant une voyelle, les lettres i et u ont la valeur d'une semi-voyelle. W a le même son qu'en anglais.

Diphthongues

ey'   se prononce comme ay' dans les mots français rayon, paye, etc.

ây = le son de ail dans bailler.

Consonnes

b, ch (doux), d, f, j, l, m, n, p, t, v, z ont la même valeur que dans le français.


[008]
ca partout la valeur de k.
ga toujours la valeur gutturale qu'il a dans gamin, gosier, etc.
ğest la douce de ǩ. C'est le gh mouillé.
h= h aspirée française très forte.
= h aspirée, très douce ; ce n'est presque qu'un souffle. On trouve cette lettre très rarement. Un exemple curieux de cette se trouve dans la conjugaison du passé défini du verbe avoir. j'ḥerè, tü ḥéro, il ḥéro, uz ḥérõ, uz ḥérí, iz ḥérõ.
j= j du français.
ǩ= (k mouillé) peut s'obtenir par un son intermédiaire entre k dur et tch ou dch. Ce son se trouve aux environs de Paris comme en Picardie.
ña le même son que dans l'espagnol Castaños, señor, teñir, etc. c'est-à-dire égale gn.
r= r français.
= r gras.
~représente une résonnance nasale.
s= partout ss, ç français.
ta le son du t dans tenir, table, etc.

N.B. y a la même valeur qu'en français dans pays, abbaye, etc.